
25 Sep 20 Idles – ‘Ultra Mono’
Album / Partisan / 25.09.2020
Punk
Kill Them With Kindness. Le ballon de baudruche rose bonbon de la pochette d’Ultra-Mono le dit mieux que tout manifeste : l’empathie, la gentillesse et l’ouverture d’esprit sont aujourd’hui les meilleures armes du punk rock ‘conscient’, et les quelques jaloux et/ou cyniques qui ont publiquement attaqués IDLES là-dessus – avec des arguments pas toujours bien pesés sur les pseudo-origines aisées du groupe – n’ont plus qu’à se prendre cette grosse guimauve dans la gueule et passer leur chemin. Comparé à Brutalism et Joy As An Act Of Resistance, le propos de ce nouvel album est de ce fait un peu plus sur la défensive, comme pris dans l’étau de cet étrange marasme médiatique. On sentait déjà le coup venir avec Mr. Motivator, premier extrait binaire et entraînant, mais aussi réponse cinglante aux critiques évoquées ci-dessus. Non, IDLES, ce n’est pas simplement du préchi-précha cliché. C’est aussi une bonne dose d’(auto-)ironie et de déconne, ici sous la forme d’un coaching parodique contre les sinistres connards qui polluent l’époque. Ça fonctionne d’ailleurs au premier comme au second degré: ‘Let’s seize the day/ All hold hands / Chase the pricks away. / You can do it! / Yes, you can!‘. Talbot rêve de voir Kathleen Hannah choper Trump par la chatte avec des ‘griffes d’ourse’, le tout entre une série de vignettes plus improbables les unes que les autres, mettant en scène Flavor Flav, John Wayne, Frida Kahlo, ou encore David Attenborough s’alliant avec LeBron James contre des dépeceurs de bébés phoques (!). Ici, IDLES prouve au moins qu’il n’a pas perdu de son mordant dada, et ce malgré les diversions créées par les polémistes à la petite semaine.
Dénoncer la guerre des élites contre les pauvres reste de toute manière la mission première du quintet de Bristol, et là où les paroles de Talbot font le plus mouche. Il suffira d’écouter la pièce maîtresse Model Village, satire impitoyable de la propagande des Tories et de son emprise malsaine sur la société britannique actuelle, pour estimer cette mission remplie. Talbot peste et ricane contre ce village pavillonnaire nostalgique de l’Empire qu’est devenu la perfide Albion, un pauvre bled honteusement raciste, aussi étouffant que celui vu dans Le Prisonnier, et pendant ce temps-là, le reste du groupe s’en donne à cœur joie dans une compo pop-punk sardonique et grinçante dont le refrain n’en finit pas de décoller, comme pour mieux souligner l’envie de se barrer de là à tout prix. Par contre, on rigole moins sur le plus frontal et dantesque War, ouverture de l’album tendue à l’extrême où Talbot imite le son glaçant du sabre avant que Mark Bowen et Lee Kiernan ne reproduisent -eux – les piqués de bombardiers dans le ciel, le tout avec des guitares si bruitistes qu’elles feraient pâlir Sonic Youth d’effroi. Et on tremble également sur l’orageux Grounds, avec son breakbeat lézardé de staccatos rentrés – tout en demi-tons claustrophobiques et déflagrations aussi exponentielles que celle du mouvement Black Lives Matter. ‘So I raise my pink fist and say black is beautiful‘ entonne Talbot. ‘Do you hear that thunder?/ That’s the sound of strength in numbers‘. Menaçants, épileptiques, hachés à la six cordes avec une précision chirurgicale que ne renieraient pas Shellac ou Metz, ces deux morceaux de bravoure ouvrent le bal et personnifient à eux-seuls l’épure et la concision que semble priser le groupe ces jours-ci. Le reste des titres, entre le quasi-psychédélique A Lover et un Reigns froid comme le sang bleu d’un aristocrate, est généralement à l’avenant. On notera juste l’ajout d’une petite dose de Queens of the Stone Age à l’équation McLusky + Jesus Lizard + Pissed Jeans + PIL qui officiait déjà sur les deux opus précédents.
Produits à nouveau par Adam Greenspan et Nick Launay (Nick Cave, Girls Against Boys, PIL, The Posies…), les cinq huluberlus ne révolutionnent donc pas en profondeur leur grammaire, mais jamais leurs compos n’ont sonné de façon aussi massive et proprement monolithique. Côté invités il y a certes du beau linge, mais les contributions restent généralement discrètes, voire anecdotiques (comme l’intro en clin d’œil de Jamie Cullum au piano sur un des titres). Si le subtil habillage de Kenny Beats sur une partie de la production – habillage finalement plus electro qu’hip hop – reste le bienvenu, bon courage pour repérer les featurings de Warren Ellis et David Yow sur le disque… Seule Jehnny Beth de Savages se démarque nettement sur le très The Hives Ne Touche Pas Moi, ode frénétique au consentement qui fera forcément réagir dans le pit.
Ultra-Mono est donc un très bon album, surtout quand on sait que beaucoup d’auditeurs l’attendaient comme le London Calling de l’ère post-Brexit (bonjour la pression !). Evidemment, il y a fort à parier que pour certains esprits un peu chagrins, on sera en fait directement passé à la case Combat Rock ici. Cela reste d’une certaine manière entendable, mais quiconque a vu IDLES sur scène sait également que le groupe possède cette étincelle rare qui lui permet de transcender gros festivals et grandes salles impersonnelles pour rendre ses prestations aussi chaleureuses et jubilatoires qu’un vrai concert DIY. Et à ce titre, le disque possède assez de cartouches dévastatrices pour que le raout indie/punk entamé il y a trois ans déjà se prolonge encore pour un petit moment. Pour la suite, il faudra certainement se renouveler un peu et prendre de nouveaux chemins de traverses, en creusant par exemple un peu plus profondément la piste entamée par le long crescendo inabouti de l’atmosphérique A Hymn.
Paraphrasant Daniel Johnston sur l’épique conclusion Danke, Talbot sait lui-même que rien n’est joué d’avance, mais il continue à regarder l’avenir avec optimisme : ‘True love will find you in the end / You’ll find out just who was your friend‘. La tapisserie apocalyptique que ses quatre comparses tissent à ses côtés, menée de main de maître par un John Beavis complètement démentiel derrière ses futs, est ainsi un décor parfait pour les derniers mots de l’album : ‘I’ll be the hammer / I’ll be your nail / I’ll be the house that allows you to fail‘. Pour l’instant IDLES n’échoue pas, et aussi prévisible qu’il soit, Ultra-Mono est bel et bien le clou de l’incroyable spectacle déglingué qu’ils nous ont donnés jusque-là, en tout cas dans ses meilleurs moments. A moins, bien entendu, de vraiment détester la guimauve…
A ECOUTER EN PRIORITE
War, Grounds, Mr. Motivator, Kill Them With Kindness, Model Village, Ne Touche Pas Moi, A Lover, Danke
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